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 Dernière édition: 29/09/2005.
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LOCUS SONUS
Livret



Ce chapitre “livret” propose un inventaire succint illustrant le large territoire investi par les pratiques audio interrogeant l’espace et les réseaux, à partir de documents iconographiques d’oeuvres et de dispositifs d’artistes issus du domaine des arts plastiques et de la musique expérimentale ou bien encore d’innovations technologiques.






"Locus Solus — la propriété se nomme ainsi — est une calme retraite où Canterel aime poursuivre en toute tranquillité d'esprit ses multiples et féconds travaux. En ce lieu solitaire il est suffisamment à l'abri des agitations de Paris — et peut cependant gagner la capitale en un quart d'heure quand ses recherches nécessitent quelque station dans telle bibliothèque spéciale ou quand arrive l'instant de faire au monde scientifique, dans une conférence prodigieusement courue, telle communication sensationnelle.
C'est à Locus Solus que Canterel passe presque toute l'année, entouré de disciples qui, pleins d'une admiration passionnée pour ses continuelles découvertes, le secondent avec fanatisme dans l'accomplissement de son oeuvre. La villa contient plusieurs pièces luxueusement aménagées en laboratoires modèles qu'entretiennent de nombreux aides, et le maître consacre sa vie entière à la science, aplanissant d'emblée, avec sa grande fortune de célibataire exempt de charges, toutes difficultés matérielles suscitées au cours de son labeur acharné par les divers buts qu'il s'assigne."

(Raymond Roussel, Locus Solus, 1914)


1914. Raymond Roussel, dans Locus Solus, imagine la création artificielle de "toutes sortes de voix humaines" par la gravure directe du sillon d'un disque.
(Jean-Claude Risset, Les nouveaux gestes de la musique, 1999)

"Impressionné par l'un de ces Componium, qu'il vit à Bruxelles, l'écrivain Raymond Roussel, à l'aube de notre siècle, jetait sur le papier d'extraordinaires machines musicales qui prophétisaient la synthèse numérique et la génération algorithmique de structures musicales obéissant à des systèmes de règles. Roussel inaugurait alors une technique d'écriture visant à renouveler l'imaginaire poétique et romanesque en le déduisant d'un ensemble d'opérations objectivement définies. C'est à partir de ces opérations qu'il écrira ses Impressions d'Afrique (1910), puis Locus Solus (1914).
L'un des personnages des Impressions d'Afrique présente un instrument de musique automatique mêlant des sons engendrés "en direct" et des sons enregistrés et synchronisés avec les précédents. La plupart des dispositifs de concert contemporains ne font pas autre chose: un ordinateur envoie des messages MIDI interprétés en direct par des instruments Midi ou compris comme déclencheurs d'échantillons sonores stockés sur disque dur. Dans Locus Solus, Roussel imagina un autre instrument de musique automatique: dans un boîtier extra-plat, l'horloger Frankel place huit insectes dont chacune des six pattes est chaussée d'une guêtre de métal soudée à une bielle actionnant un système de roues dentées dont la dernière pousse périodiquement l'extrémité d'une lamelle effilée. Une fois lâchée, cette lamelle vibre et rend un son pur. Les pattes des insectes engendrent au total quatre octaves. "En outre, édifié avec le concours d'un harmoniste éclairé, un prodigieux système freinateur de rouages inextricables, régentant les huit zones séparément et dans leur ensemble, s'opposait à la production de toute cacophonie sans exclure aucune combinaison rationnelle et analysable".
Cette machine à composer préfigure une démarche algorithmique devenue classique en composition assistée par ordinateur: des matériaux musicaux sont engendrés par un processus aléatoire (les frétillements des insectes), puis filtrés à partir d'un système de contraintes (le système freinateur), exprimant les règles données par le compositeur (l'harmoniste éclairé). Le dispositif de Frankel explore aléatoirement un espace musical structuré par les règles de l'harmonie. Les systèmes actuels de composition assistée par ordinateur visitent pour leur part, aléatoirement ou de façon contrôlée, un univers musical structuré par les règles fournies par le compositeur."

(Gérard Assayag et Jean-Pierre Cholleton, L'Appareil Musical, 1994)


Marcel Duchamp, La mariée mise à nue par ses célibataires même, Erratum Musical, 1913